La confiance


« Je crois en l’Homme » peut-on lire comme premiers mots de la célèbre déclaration de Rockfeller gravée sur la place de Manhatan qui porte son nom. Pour autant qu’il l’ait fait avec la même détermination que son propos, il semble que ça lui ait plutôt bien réussi. Obtenir la confiance est effectivement une nécessité dans le fonctionnement collectif, puisqu’elle est à la base de tout échange durable.


Elle s’exprime couramment comme « un sentiment d’assurance, de sécurité, de celui qui se fie à quelqu’un ou à quelque chose » (Larousse). Elle pourrait se définir comme la réduction de l’écart entre ce qui est désiré et ce qui est réellement espéré. Dans une confiance totale, cet écart est nul. Je crois totalement que j’aurai ce que j’espère. Si la confiance est nulle, seul le hasard le déterminera. Je ne m’engagerai donc que si l’enjeu est faible et que je suis prêt à le risquer. Le niveau de confiance définit ainsi le niveau de risque que l’on peut prendre dans un engagement, avec une personne physique ou morale.


Elle est un ingrédient nécessaire à l’engagement, c’est à dire à chaque fois qu’un résultat attendu est différé de la décision. Pas d’échange, donc pas de fonctionnement collectif, donc pas d’entreprise ni de client, encore moins de banquier sans un minimum de confiance mutuelle.


On ne se prive pas de réduire la confiance nécessaire par toutes sortes de garanties formelles, mais elles ne protègent jamais totalement, et ralentissent considérablement les processus d’engagement. Aucune garantie n’est vraiment suffisante si la confiance est inexistante.


On comprend donc toute l’importance que la confiance a dans l’entreprise :

- La confiance en soi du Dirigeant qui s’investit dans une activité. Il limitera ses ambitions à ce qu’il se sent capable de réussir.

- La confiance dans son Marché et dans ses clients aura une incidence sur l’engagement entrepreneurial, notamment financier : quelle espérance du retour sur investissement ?

- La confiance dans ses collaborateurs : puis-je espérer que la mission sera remplie dans le cadre fixé si je lui laisse les marges de manoeuvre nécessaires ?

- La confiance dans ses dirigeants : je m’investis dans l’entreprise si je crois que ses dirigeants savent définir une stratégie gagnante.



Si l’on s’en tient à un plan rationnel, elle va reposer sur une espérance raisonnée ou vérifiée sur l’écart entre l’espéré et l’attendu. Sur ce plan, c’est l’expérience qui va la renforcer : je fais confiance aux gens qui ont rempli leurs engagements, ou dont j’ai vérifié à l’usage que ce qu’ils disaient était vrai.


Mais la confiance n’est pas que de l’ordre de la raison. Elle s’établit aussi sur un mode émotionnel ou intuitif, elle va reposer sur un ressenti, établi par la stimulation de ce que nous avons stocké dans notre banque de données interne, le plus souvent inconsciente. C’est la confiance présumée ou la défiance instinctive, dont mêmes les animaux évolués sont équipés. Le préjugé sur les différences ou le délit de sale gueule sont bien malheureusement totalement naturels.


Et pourtant, Confiance, que de méfaits n’a-t-on pas commis en ton nom. Essayons donc de fixer quelques repères pour traiter ce sujet majeur avec un minimum de méthode, en séparant trois points :


Pour que les gens qui nous entourent s’engagent avec nous, il faut donc savoir

1- inspirer confiance

2 - renforcer et ne pas perdre le « capital confiance ».


Pour nous engager dans un processus collectif, il nous faut à l’inverse

3 - Savoir en qui l’on peut avoir confiance.


1 - Inspirer confiance


Méfiez-vous des imitations : la sympathie que nous inspire quelqu’un n’a que peu à voir avec la confiance. Il y a des charmeurs qui peuvent créer l’illusion, mais la confiance est à un autre prix. Ce n’est pas en étant agréable ou complaisant que vous inspirerez confiance. Il n’est pas non plus nécessaire d’être désagréable, bien entendu. Quant à l’éternel « faites-moi confiance », rien de tel pour n’en inspirer aucune. Tous les escrocs en mal d’argument l’utilisent sans vergogne.


Parmi les ingrédients qui inspirent confiance ou qui évitent la méfiance (nuance importante) je vous propose les suivants :


1.1 - L’authenticité

La vérité a un ton particulier qui ne s’imite pas. Il semble que notre cerveau primitif, dit aussi reptilien compte-tenu de sa lointaine origine, ressent immédiatement toute « dissonance », c’est à dire tout ce qui ne communique pas le même message, entre les canaux de communication d’une personne qui communique avec lui. Ces canaux sont le langage, les attitudes et les émotions. Tout écart entre ce qu’expriment ces trois différentes sources est immédiatement décelé et génère une légitime méfiance. On croit pouvoir tromper, mais on se fait bien souvent des illusions. « Tu as le nez qui bouge » dit-on dans nos campagnes à un enfant qui croit pouvoir tromper.


Si vous dites à un collaborateur que vous êtes satisfait de lui pour l’encourager, mais que vous pensez le contraire, à supposer même que votre attitude soit parfaitement maîtrisée, votre ressenti reste une contrariété, qui est en contradiction avec le message. Votre interlocuteur le ressentira de manière émotionnelle, peut-être inconsciente, mais la dissonance des messages créera de la défiance.


Soyer authentique, parlez vrai. Si vous estimez qu’une vérité n’est pas bonne à dire, soit. Mais sachez que c’est au détriment de la confiance.



1.2 - Etayez vos propos ou vos engagements

Prenez le temps d’expliquer le sens de vos propositions. Plus vos assertions ont de bonnes raisons d’être, plus elles sont crédibles, plus votre interlocuteur sent que votre pensée est étayée et que vous ne dites pas n’importe quoi.


  • Prenez le temps d’expliquer

1.3 - Prendre des engagements et les tenir

Mais le moyen le plus sûr de créer de la confiance, malheureusement plus long, est de prendre des engagements et de les tenir. On peut penser que ne pas s’engager évite de décevoir. Cela peut éviter de décevoir, mais ne crée aucune confiance. Il vaut mieux au contraire prendre de petits engagements, dont on pourra constater rapidement qu’ils sont tenus. Ou simplement de tenir des propos qui seront rapidement vérifiables.


  • Prenez des engagements et tenez-les.


2 - Renforcer la confiance

La confiance se renforce avec le temps. Tout engagement tenu la fait monter. La fiabilité démontrée par les faits est une présomption pour l’avenir. La renommée d’une entreprise se monte en respectant ses revendications d’image. La renommée d’une personne s’accroît dans la mesure ou elle ne trompe jamais ses partenaires privés ou professionnels. La pelote grossit comme un capital.


Il faut du temps pour créer une vraie relation de confiance, et vous avez vraiment intérêt, pour établir une relation qui dure, à ne pas vous écarter de ce chemin.

Si vous travaillez avec une optique « long terme », établir une relation de confiance est déterminante. C’est une forme d’investissement : elle vous assurera pour une très grande part la fidélité de vos interlocuteurs.


Mais ce capital est plus vite détruit que bâti. Si vous trompez une fois quelqu’un, cela estompera la confiance acquise. Robert Bosh, qui pourtant ne méprisant pas le profit, disait : « je préfère perdre de l’argent que la confiance de mes clients ».


3 - A qui faire confiance ?

Les principes étant les mêmes, on comprend facilement que l’on peut faire confiance aux gens qui n’ont pas peur d’être authentiques, et à ceux qui prennent et tiennent leurs engagements.


Mais prenons la précaution de distinguer la confiance dans la parole et la confiance dans l’action.


Les gens qui ont peurs sont les plus susceptibles de trahir la vérité, puisqu’ils la craignent lorsqu’ils la voient comme une menace. Ils sont faciles à repérer, car ils se soulagent de leur non-dits lorsque le danger leur parait nul. Notamment, vous les entendrez en leur absence des personnes en présence desquelles ils sont fort complaisants. On ne peut donc leur accorder sa confiance, ni pour ce qui est de savoir ce qu’ils pensent, ni pour leur confier des données confidentielles. Ils ont trop besoin de se rassurer auprès des autres pour ne pas le partager avec qui appréciera.


Ne faites pas trop confiance aux gens qui cherchent à plaire, ni à ceux qui critiquent en leur absence les personnes avec lesquelles ils sont en bon terme.


Pour ce qui est de l’action, c’est par l’expérience que se renforce la confiance. C’est le constat des faits qui confirment les engagements ou simplement les attentes. Dans les courses de racers (course de vitesse en avion, autour de pylônes à moins de 15 mètres de hauteur) l’acceptation d’un concurrent ne fait qu’après la vérification par un vol test encadré des compétences déclarées.


Mettre les gens à l’épreuve reste donc un moyen de pouvoir leur faire confiance. Le tout est d’y aller progressivement.


Demandez au gens de s’engager, sur un résultat, sur un délai ... et constatez.

Confiance et management
Nous avons vu combien la confiance est indispensable au bon fonctionnement collectif. Le manager doit donc l’intégrer dans ses justes préoccupations, à la fois pour mériter la confiance de ses collaborateurs, également pour augmenter la confiance qu’il a en eux. Il convient en outre qu’ils aient confiance les uns dans les autres, mais c’est un sujet que nous aurons l’occasion de revenir dans une parution ultérieure.
1 - Pour que vos collaborateurs aient confiance en vous :

« Pour mener, il faut être suivi », prête-t-on à Lao Tseu et à son bon sens habituel. Le leadership signifie en approximation littérale la capacité à mener, à diriger. Il n’a pas vraiment d’équivalent dans la langue française. Il désigne ici cette faculté d’entraîner avec soi, sur un but ou des idées, un certain nombre de personnes, sans avoir besoin d’utiliser des contraintes réelles ou potentielles, comme c’est le cas dans le pouvoir hiérarchique, bien sûr. Quand on fait « péter les galons », c’est une bonne solution de secours qu’il faut avoir dans sa manche, mais cela indique que le leadership est insuffisant.


La confiance fait évidemment partie de ses ingrédients : à moins d’y être contraint, comment s’engager avec quelqu’un si l’on doute de lui? Outre les éléments développés plus haut (être authentique et tenir ses engagements) je vous propose donc deux moyens par lesquels un chef d’entreprise ou un cadre dirigeant peut avoir la confiance de ses collaborateurs :


a - Légitimer les directives :


Que l’on soit pressé ou peu soucieux des considérations d’autrui, on a vite fait de balancer une instruction en considérant que sa position de chef suffit à la rendre exécutoire. Certes, c’est bien le moins. Tout salaire mérite sa peine, pourrait-on dire. Mais dans un monde de bénévole, ça ne marcherait pas longtemps.


Pour que la confiance existe, il faut de la transparence. Dans le domaine du leadership, la première transparence est celle du sens : un dirigeant doit prendre le temps de légitimer ses buts, objectifs, grandes lignes stratégiques, et de mettre en cohérence avec elles ses directives. Dans notre culture, encouragé par Galilée, Newton et Descartes, l’homme de bonne volonté adhère à ce qui a du sens, et se méfie de ce qui n’en a pas. Selon la belle expression de Vincent Lenhardt, un manager doit être « porteur de sens ».


Consacrez de l’énergie à faire partager le sens de vos orientations et décisions à votre équipe.


b – Avoir une communication « congruente »

Paul Walsclavicz disait que si nous ne disposions que du langage, nous n’arriverions pas à nous comprendre, tant est compliqué le système de codage et de décodage des mots pour chacun. Heureusement viennent à notre secours les autres « canaux de communication » que sont les attitudes et les émotions, que nous percevons de manière largement inconsciente.


Il est donc évident, comme dit dans l’article précédent, que si ces différents « canaux » ne disent pas la même chose, une méfiance est immédiatement ressentie. Pour avoir la confiance de vos collaborateurs, soyez « congruent » dans vos communication, c’est à dire ayez en harmonie votre langage, vos émotions et vos attitudes. Et le plus sûr, sinon le seul, pour y parvenir est de parler vrai. Plus ce que l’on dit est authentique, proche de ce l’on pense, plus les canaux sont naturellement alignés.


Respectez les personnes, mais dites-leur ce que vous pensez.

2 - Pour avoir confiance dans vos collaborateurs

  • « La confiance n’interdit pas le contrôle » disait Lénine, qu’on ne peut pas classer dans les bienfaiteurs de l’humanité, mais qui en matière de management a fait ses preuves. Il est évident que vous présumez avoir des collaborateurs en qui vous pouvez avoir confiance. Sinon vous éviteriez de les avoir dans votre équipe.


Bien sûr, commencez par ne pas avoir trop de confiance dans les gens qui de toute évidence ne sont pas transparents. Mais, il convient de voir le sujet de façon plus professionnelle.


Mais, en matière de management, cette confiance doit s’établir et se renforcer de manière méthodique ; il faut donc être équipé d’une part d’un moyen de mettre les gens sur des épreuves claires, deuxièmement de vérifier le résultat. Le flou parait plus confortable au départ, mais il crée progressivement l’impossibilité de faire monter la confiance.


Sur le plan de la communication, poussez les gens à parler avec précision et à s’engager sur des résultats avec des délais.


Sur le plan de leur mission et des délégations qui leurs sont données, soyez précis sur les résultats et les délais comme sur le cadre de délégation, et outillez-vous pour vérifier les dérives. Disposez d’un système de relance personnelle et d’un tableau de bord sur les résultats attendus et le respect des règles établies.


Vous saurez ainsi avec le temps et l’expérience, qui mérite votre confiance.


Amenez vos collaborateurs à s’engager sur les résultats de leurs missions, sur les délais et sur le respect des règles.

  • Application concrète :



Pour développer la confiance que vos collaborateurs ont en vous :


Pour être sûr qu’ils n’aient pas confiance en vous :

Faites-leur partager et s’approprier votre vision de la réussite, vos objectifs et votre stratégie.

Considérez comme personnelle votre vision de la réussite et vos orientations générales.


Donnez du sens à leurs missions, à vos décisions, à vos directives et à vos demandes.

Contentez-vous de donner des directives sans explication.


Assurez-vous que vos directives et vos décisions sont en cohérence avec votre stratégie.


Considérez que chacune de vos directives est indépendante de la cohérence générale.

Prenez des engagements auprès de vos collaborateurs et tenez-les

Evitez de vous engager.

N’accordez pas d’importance à la tenue de vos engagements.


Soyez authentique, parlez vrai.


Ne dites la vérité que lorsque vous ne pouvez pas faire autrement.






Pour développer la confiance que vous pouvez placer en vos collaborateurs :


Pour ne pas créer de confiance dans vos collaborateurs :

Acceptez qu’ils vous parlent franchement.

Préférez leur complaisance ou leurs flatteries à la franchise.


Faites les s’engager sur un accord et un délai, contrôlez les dérives et faites-les remarquer agréablement mais avec netteté.


Dites pour tout engagement non tenu que ce n’est pas un problème, qu’on va s’arranger.

N’acceptez pas les critiques sur les absents.


Encouragez-lez à critiquer les absents pour vous informer sur leurs comportements.


Donnez des missions avec des objectifs clairs et contrôlez les résultats.


Donnez des missions floues ou sans objectif de résultat.


Restez agréable et respectueux mais soyez ferme avec les dérives.


Ignorez les dérives.

Gratifiez les gens qui ont de mauvais résultats.


Obtenez que vos collaborateurs suivent vos directives.

Acceptez que vos directives ne soient pas prises en compte.

Contentez-vous de les répéter si elles ne le sont pas.