Comprendre le cerveau humain

I - Le modèle de Mac Lean


Qu’en est-il des quelques un et demi pour cent qui différencient notre génome de celui des grands singes ? nous y avons perdu de ne plus savoir éplucher des cacahuètes avec nos pieds, mais il nous a permis de développer un néocortex dont nous sommes légitimement fiers. Il nous donne cette intelligence du raisonnement logique, la capacité du libre choix chère à Rousseau, et la création de langages sophistiqués qui nous particularisent, apparemment au moins, dans le monde vivant.

Mais, contrairement aux idées reçues, notre système nerveux ne fonctionne pas comme une unité parfaitement homogène et disciplinée sous la direction centralisée de notre cortex. Dès les années 50, Paul Mac Lean, neurologue et directeur du « Laboratory of Brain Evolution and Behaviour » à Poolesville dans le Maryland, avait mis en évidence que notre cerveau s’est développé progressivement au cours de l’évolution des espèces en trois parties, fonctionnant comme trois ordinateurs connectés, mais ayant leurs caractéristiques propres. Le cerveau humain est ainsi constitué de trois formations évolutives bien différentes, anatomiquement et psychologiquement, étroitement reliées par le système nerveux, mais ayant un mode de fonctionnement bien à elles.

Quelles sont ces trois parties ?

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1 - Par ordre d’entrée en scène au cours de notre histoire, apparaît un cerveau primitif, dit « reptilien », constitué du tronc cérébral et du cervelet. Il fonctionne par stimulus-réflexes selon des éléments concrets et très différenciés, uniquement orienté vers la survie instantanée. Hérité de nos plus lointains ancêtres biologiques, il règne sur nos pulsions fondamentales (faim, soif, sexualité, agressivité, imitation) et assure une réponse immédiate au présent; il privilégie l'odorat.

2 – Est apparu ensuite, dès les premiers mammifères, le cerveau « limbique » ou « paléo-mammifère », qui est le siège des émotions. Ce cerveau est en liaison intime avec notre équilibre biologique et endocrinien. Il commande le fonctionnement de l'hypophyse qui, elle, commande à toutes nos glandes qui vont contrôler le fonctionnement de nos cellules. Il introduit l'affectivité, les soins parentaux, le sens du clan; il se base sur l'importance de la vocalisation et de l'audition. L'affectivité nécessite une mémoire à long terme. La notion de plaisir ou de déplaisir nécessite le souvenir d'une expérience passée - il faut savoir, par expérience, qu'il y a des choses qui sont défavorables ou favorables à notre plaisir, à notre équilibre biologique - et dépend essentiellement de l'état de notre milieu intérieur. Qui dit mémoire dit motivation : si un événement ne vous intéresse pas, vous ne mémoriserez rien.

3 - Enfin, la partie dont, en tant qu’hommes, nous pouvons être fiers : le néo-cortex ou cerveau « néo-mammifère », siège de la partie rationnelle de notre pensée. Ce cerveau néo-mammalien, en fin de compte humain, avec ses lobes frontaux, connaît la raison et le langage symbolique. Notre néocortex permet l'abstraction, l'association. Il nous permet d'imaginer, soit d'inventer des comportements nouveaux à partir d'expériences anciennes. C'est le cerveau de l'anticipation, de l'avenir ...

Ce qui est vraiment nouveaux dans le modèle de Mac Lean c’est que, contrairement aux idées établies, tout n’est pas dirigé et harmonisé par le néo-cortex : les systèmes inférieurs peuvent le court-circuiter quant ils l’estiment nécessaire. On comprend toute la symbolique du Dr Jekyll et de Mr Hyde, ce vieux combat de la belle et de la bête, que nous nous livrons en permanence dans le cercle très privé de notre inconscient, à huis clos de notre propre conscience. Car l'évolution humaine s'est produite si rapidement que ces trois cerveaux ne sont qu'imparfaitement intégrés.

Arthur Koestler résume ce modèle en disant que l'évolution ayant commis plus d'une erreur, il est pertinent de se demander si l'homme n'est pas victime d'un vice de construction, d'après lequel la croissance extraordinairement rapide du cerveau humain serait responsable d'un dangereux défaut de coordination entre les structures anciennes et les structures récentes du cerveau, d'où un divorce quasi permanent entre l'émotion et la raison.

Notons néanmoins que, depuis, de nombreux chercheurs, tels que Ledoux, Berthoz, Damasio, Changeux ... ont considérablement développé notre compréhension du fonctionnement cérébral humain. Il en ressort que, quelles que soient les précautions de l’analyse rationnelle, le moment de la décision passe infailliblement par les parties limbiques et reptilienne de notre système nerveux. Ces parties ont leur langage qui n’est pas celui de la raison, mais celui des émotions, voire de nos réflexes de survie génétiquement programmés.

Comprendre nos concitoyens et opérer collectivement demande donc de comprendre le langage spécifique de chacune de ces parties du cerveau, dont la combinaison va présider à toute décision ou mise en action. Nous allons regarder comment les utiliser en management.

II - Le management et le cerveau humain


Tant qu’il s’agit de raisonner ou de débattre d’idées, l’art de la persuasion rationnelle suffit. Mais lorsque vous dirigez, vous avez besoin d'obtenir un passage à l'acte, qui est de la nature de la décision. Il est donc utile d'utiliser les mécanismes mentaux qui président à cette prise de décision, faute de quoi vous risquez d'avoir en face de vous quelqu’un qui est d’accord sur le principe, mais qui ne prendra pas pour autant la décision du passage à l’acte.

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Nous ne rentrerons pas dans cette parution ni sur l’argumentation rationnelle, ni sur le jeu direct des émotions. Nous y reviendrons, bien entendu, si nos lecteurs nous y invitent. Nous allons nous concentrer sur les éléments qui touchent directement notre cerveau primitif.

Celui-ci est sensible à un langage qui pourrait se caractériser en 7 points :

1 – La différenciation :

Pas de nuances pour le cerveau primitif. Il est sensible à des contraires, à des oppositions nettes. Au moment d'un vote, nous ne sommes sensibles qu’aux différences marquantes des images et des propositions, et non l’ensemble des concepts développés dans chacun des programmes. Nous n’aurons aucun intérêt pour ce qui est commun à tous. La décision d’achat d’une voiture se fait davantage sur la base de petites différences qui nous ont marqué, et rarement d’une grille méthodique de décision. Les gens ne retiennent de votre discours que ce qui est différent de ce qu’ils ont l’habitude d’entendre.

Pour impacter le cerveau primitif, limitez-vous à ce qui est différent, n’ayez pas peur de choquer un peu, utilisez la caricature.

2 – Le centrage sur soi :

Au moment d’une décision, tout individu ne pense qu’à lui-même. Si le danger est grave, il est capable de court-circuiter toute pensée rationnelle. Lors d’un incendie dans un endroit clos, les meilleures de personnes sont capables d’en écraser quelques autres pour sauver leur peau sans même en prendre conscience. Le cerveau primitif n’a aucun autre intérêt que lui-même. C’est l’égoïste parfait. Il se mobilise s’il y a un danger pour lui ou un intérêt évident.

Pour impacter le cerveau primitif, concentrez-vous sur ce que votre interlocuteur gagne dans votre proposition.

3 – Le besoin de concret :

Aucun concept ne touche le cerveau primitif. Il lui faut du factuel, du concret, des éléments qui touchent les sens : l’image notamment, les sons, les goûts ou les odeurs. Les nerfs visuel ou auditif par exemple se prolongent directement jusqu’à lui, ce qui lui permet de réagir bien avant que la pensée ne se soit mise en marche. Vous reculez au bruit d’un klaxon proche avant même de comprendre ce qui se passe et d’en analyser la source. C’est assez dénué de jugement mais ça peut nous éviter de passer sous un autobus.

Pour impacter le cerveau primitif, imagez votre discours.

4 – La pression normative :


L’homme est un animal grégaire. Ses réflexes primitifs le conditionnent à adopter les comportements du groupe ou à obéir à des injonctions dont la source a une légitimité. Confère dans ce sens les célèbres expériences de Milgramm reprises dans le film "I comme Icare". Faire comme les autres est une tendance forte dans la prise de décision.

Pour impacter le cerveau primitif, appuyez-vous sur la norme sociale.

5 – Les peurs :


Prendre une décision réveille les peurs naturelles de l’inconnu. La peur de manquer peut faire acheter un stock de sucre nullement nécessaire à une bonne santé. C’est ce qui fait souvent acheter un article parce que c’est le dernier ou que la promotion va s’arrêter. Il faut donc des éléments qui crédibilisent les informations fournies. La preuve est plus importante que le discours, le reste ayant vite une odeur de baratin. Chacun sait qu’en langage d’escroc l’expression « fais-moi confiance » veut dire « je te roule ».

Pour impacter le cerveau primitif, prouvez ce que vous avancez.

6 – Le besoin de stimulation :


Quand votre ordinateur n’est pas sollicité, il se met en « veille » pour économiser l’écran et dépenser moins d’énergie. Notre cerveau primitif s’économise naturellement de la même manière : il se retire du monde lorsqu’il ne se passe rien d’anormal. Un discours monotone n’a aucun impact sur lui. Il est touché par des phrases courtes, des injonctions nettes. Il retient le début du discours ou la fin, surtout si elle est appuyée.

Pour impacter le cerveau primitif, parlez en injonctions courtes et nettes.

7 – Les émotions :

Cette partie du cerveau est particulièrement sensible aux émotions. La tristesse le touche mais ne l’émeut pas, par contre les émotions fortes en énergie, telles que la joie, l’enthousiasme, l’hostilité marquée ou la colère ont un impact sur sa mise en action. Rappelez-vous toutefois que ses réactions face à toute menace ont tendance à se limiter à la fuite, l’immobilisation ou l’agressivité.

Pour impacter le cerveau primitif, soyez tonique.

Ces caractéristiques vous seront très utiles lorsque vous aurez besoin d’obtenir une décision ou un passage à l’action. Dans la partie des applications concrètes, je vous propose quelques points clés pour obtenir de l’adhésion sur un projet ou donner une directive avec des chances de provoquer l’action nécessaire.

III - Applications concrètes :


A titre d’illustration des principes précédents, voici deux exemples d’application pratique :

1 – Faire une proposition de changement :

Lorsque vous devez faire à votre équipe une proposition de changement, utilisez cet outil très simple qui utilise des ingrédients qui impactent le cerveau primitif. Ne cherchez pas à vous en convaincre intellectuellement (il ne fait pas appel à l’intelligence) mais essayez-le et jugez aux résultats :

Situation
Exposer brièvement quelques faits ou chiffres marquants, qui marquent une différence notable entre la réalité présente et la situation recherchée.

Alerte
Montrer les risques que courent l’entreprise et vos interlocuteurs si rien n’est mis en œuvre pour changer la situation.

Proposition
Proposer une solution avec détermination et enthousiasme.

Visualisation
Décrivez avec des mots simples le résultat qui doit être obtenu.

Motivation
Montrer et prouver en quoi vos interlocuteurs ont un intérêt dans ce résultat.

Eviter :
« On a du mal. J’ai décidé de changer le logiciel de GRC, en le remplaçant par une version tout à fait différente beaucoup plus récente. Il faut être opérationnel très rapidement parce qu’on n’a pas de temps à perdre. »

Cette proposition doit logiquement déclencher une résistance naturelle au changement.

Préférer par exemple (vous pourrez faire mieux …) :

« Il manque 10 % dans nos prévisions de CA pour réussir notre budget annuel (différence mobilisante et concrète réussite/échec), ce qui met en péril le maintient de notre structure actuelle (peur du refus de changement). Je propose de mettre en place un nouveau logiciel de GRC, équipé d’outils de marketing direct (sens), Un de nos confrères a fait 12% d’accroissement de sa clientèle en l’utilisant l’année dernière (preuve). Nous pourrons ainsi fêter tous ensemble à Noël la réussite de notre année (vision imagée, émotions) et assurer la pérennité de l’entreprise (intérêt personnel). »

2 - Donner une directive :

Donner une directive est une pratique quasi permanente du manager, qui est le plus souvent pressé. Si la directive a de l’importance prenez quelques secondes pour respecter les points suivants. Vous augmentez considérablement vos chances de voir votre collaborateur mettre volontiers son énergie pour satisfaire votre demande :

Emotions favorables
Mettez de l’énergie, de l’intention et du respect dans votre demande

Impact
Donnez une directive courte et claire, avec des mots simples, en imageant le résultat qui doit être obtenu

Sens
Expliquer à quoi contribue le résultat obtenu

Intention
Vérifier l’intention (et l’aptitude) en le mettant dans l’action. Demandez-lui par exemple s’il voit comment il va faire.

Engager
Obtenez qu’il s’engage sur un délai

Essayez d’éviter :
« Faites-moi cette lettre immédiatement, Josette »

Préférez par exemple :
« Il est très important pour notre entreprise que le contrat Schmoll soit signé rapidement pour la réussite de notre budget. Je compte sur vous pour qu’il parte avant ce soir avec cette lettre. Voyez-vous comment faire dans votre planning ? A quelle heure puis-je compter dessus ? »

Ce n’est pas vraiment plus long, et vous risquez beaucoup moins de vous trouver le soir face à un « j’ai pas eu le temps » ou toute autre justification du même type. L’envie de contribuer à la bonne marche de la Maison vous donnera de meilleurs résultats que la simple soumission à l’autorité. Surtout si vous souhaitez des initiatives pertinentes.