La motivation des équipes


La motivation (du bas latin motivus=mouvement selon Robert), peut se définir comme l’ensemble des facteurs conscients ou non qui incitent une personne à décider ou à agir.

De la conception « innéiste »(certains facteurs sont inscrits dans l’individu à sa naissance, option chère à Freud ou Maslow) à la conception « situationiste » (qui veut que la motivation soit créée par les sources extérieures, comme le pensent Durkeim, Marx et d’autres) il y a une panoplie de théories sur le sujet. Elles nous ramènent à une conclusion simple : il existe deux grandes sources d’énergie psychique qui poussent au mouvement : les envies et les peurs.

On pourrait en effet se laisser aller à croire qu’il suffit d’assurer un revenu en contrepartie du travail pour s’assurer une motivation suffisante et constante. La preuve : beaucoup de collaborateurs partiraient s’ils n’étaient plus payés. Mais, a contrario, pourquoi autant d’associations de bénévoles se développent ? Souvenons-nous donc que, si le salaire est par sa nécessité une source importante de motivation, celle-ci s’arrête à l’énergie nécessaire pour l’obtenir et pouvoir penser le conserver.

Que peut en tirer le chef d’entreprise et ses cadres ? pour obtenir que vos collaborateurs donnent volontiers le meilleur de leur énergie, il faut s’occuper en permanence soit d’accroître leurs envies (voir l’article sur le jeu plus loin) soit de leur faire réduire une insécurité. C’est ainsi que l’homme a développé deux modes principaux de management : par l’adhésion (créer l’envie) ou par la soumission (faire peur), que les adeptes de la carotte et du bâton aiment bien conjuguer.

Ce premier numéro est consacré à ce sujet, sur lequel nous serons fatalement amenés à revenir, tant il est fondamental. Il doit vous aider à ne jamais oublier que l’envie d’agir de chaque personne n’est pas un état de fait acquis. Que, si les connaissances, les aptitudes et la méthodologie sont des facteurs nécessaires de l’activité professionnelle, elles ne sont suffisantes ni pour la productivité, ni pour l’épanouissement des personnes qui pourront assurer sa pérennité.

La dynamique du jeu

(extrait du livre « Le management par adhésion » par Joël BERGER)

« Donnez leurs du pain et des jeux » (Néron)

Quel sobre mais juste résumé pour la nature humaine : Le corps a besoin de pain, l'esprit a besoin de jeu. Il y a en effet de quoi être impressionné par le courage et la détermination avec lesquels d’éminents professionnels peuvent aller se geler à l’aube d’un beau dimanche d’hiver, sur une pelouse spécialement aménagée à grands frais, avec la seule ambition de mettre une petite balle dans un trou large comme une soucoupe. Puis de vous entreprendre au déjeuner sur leur score, pourtant d’un enjeu ridicule, avec un enthousiasme aussi débordant que s’ils vous parlaient d’un contrat de 10 millions de dollars conclu la veille. Cette motivation est propre au jeu. Elle fait donner à quiconque toute son énergie, même sans contrepartie matérielle. Le jeu, dans son fondement, est l'une des plus fortes aspirations de l’esprit humain.

On peut s'étonner que la vie professionnelle ne nous passionne pas davantage, alors que l'enjeu en est important, souvent vital. On rêverait ainsi volontiers d'une entreprise dans laquelle chacun viendrait avec le même plaisir et la même détermination chaque matin. Sans prétendre passer du rêve à la réalité, cela vaudrait la peine de chercher à s'en rapprocher.

Pour déclencher la motivation du jeu, l’objectif d’une mission doit respecter un certain cahier des charges, que nous avons divisé en cinq points :

1 - Un objectif créateur de jeu doit être clair :

Les bons jeux ont un objectif unique, indiscutable, facile à énoncer et à garder à l'esprit pendant la partie. L'investissement personnel du joueur dépend en tout premier lieu de la définition de cet objectif. Il faut qu'il soit clairement défini, suffisamment pour être assimilé, mémorisé et que l'on puisse l'avoir en tête sans effort de réflexion.

Cette même clarté exigerait idéalement l'unicité : on ne peut pas courir avec persistance après deux lièvres, sauf s'ils sont alignés. Si l'objectif que vous donnez à un collaborateur n'est pas unique, vérifiez pour le moins qu'il n'est pas porteur de dilemme, c'est à dire que la réalisation d'une partie ne risque pas de se faire au détriment de l'autre. Si c'est le cas, il y aura des situations à dilemme qui cassent le jeu.

Par exemple : Vous demandez à un commercial de réaliser un volume d'affaire et d'optimiser simultanément un niveau de marge relative, que va-t-il faire s'il peut conclure un contrat à faible marge, qui va augmenter son CA, mais diminuer sa performance de marge relative ? Pendant qu'on se pose ce genre de question, on n'investit pas son énergie sans réserve dans l'action. Il serait plus simple, soit de définir un plancher de marge, c'est à dire de ramener la marge au niveau des règles, soit de lui demander de vous apporter une marge absolue calculée sur une base de prix de revient opérationnel : tout franc rapporté sur cette base est bon à prendre, et la motivation à conclure sera intacte. Bref, le jeu n’existera pas si :

  • l’objectif est trop complexe pour être assimilé
  • l’objectif n’est pas mémorisé de manière à pouvoir être présent à l’esprit en permanence
  • l’objectif se décompose en plusieurs objectifs qui peuvent poser un dilemme.

2 - Un objectif créateur de jeu doit être Intégré :


« Vous, là, torse nu derrière cette machine, qu’est-ce que vous faites ? - j’m'amuse ... » [Fernand Reynaud]

On ne se bat jamais pour l’objectif des autres : on se bat pour le sien. Tout clair qu'il soit, encore faut-il pour jouer avoir envie d’atteindre l’objectif. Si vous voulez avoir des collaborateurs dotés d'une forte motivation, il est nécessaire que l’objectif soit « leur » objectif. Ceci nécessite qu'il soit :

  • compris,
  • ressenti comme accessible
  • d'un niveau de difficulté suffisant
  • formellement accepté
  • stable.

La communication est une leçon permanente d'humilité et d'étonnement : tout ce qui est clair n'est pas forcément compris. Parce que le taux d'écoute est faible et parce que nous sommes dotés d'un outil mental qui nous fait retenir ce que nous sommes préparés à comprendre, ou avons envie d'entendre. Laissez parler vos collaborateurs de leur objectif, pour vous assurer de la justesse de leur compréhension. Poussez-les à le faire si ce n'est pas spontané.

C'est une occasion de sentir s'il le considère comme accessible en conscience. Tout en faisant la part de la tendance normale qu'il aura à négocier à la baisse, il faut s'assurer qu'il n'y aura pas "décrochage" : Personne ne court avec persistance après un objectif auquel il ne croit pas. Contrairement à ce qu'on voudrait faire dire à Coubertin, il est nécessaire d'espérer pour entreprendre.

Le mieux étant, dit-on, l'ennemi du bien, trop d'accessibilité tue aussi le jeu. Trop de facilité sur les objectifs peut être démotivant. Attention aux bons négociateurs qui obtienne un confort excessif, qui créera insidieusement une baisse du tonus. L'oisiveté est la mère de tous les vices, probablement parce que faute d'objectif créateur de jeu, l'individu va en créer naturellement un autre qui risque de ne pas aller dans le sens des intérêts du groupe ou de l'entreprise.

Recherchez une adhésion formelle et sincère: un oui de complaisance, par soumission ou peur de déplaire n’est pas un accord. Grâce au ciel, lorsqu'on veut bien regarder et écouter quelqu'un avec attention, la sincérité de l'accord fait peu de doute. Encore faut-il être prêt à l'entendre..

Il y a des cas où vous n'avez pas la possibilité d’ajuster l’objectif : plan financier à tenir, budget établi, objectif du groupe verrouillé... Le temps que vous passerez sur l'adhésion aux objectifs, c’est à dire à déterminer des objectifs sur lesquels vos collaborateurs sont sincèrement d’accord est un temps précieux. Si la somme des objectifs auxquels vos collaborateurs adhèrent sincèrement est inférieur à votre plan global, posez-vous des questions sur la faisabilité de votre plan. Il vaut mieux anticiper que subir.

Le charisme du Chef, pense-t-on souvent, a la capacité à faire rendre à des hommes plus qu’ils ne sauraient réaliser par eux-mêmes (effet "de Lattre"). Mais de là à l’illusion, la distance n’est pas longue, et il est vite fait d’engager une entreprise sur de fausses espérances, qu’il vaut mieux avoir le courage de remettre en cause dès le départ, c’est à dire avant d’engager les dépenses...

Beaucoup pensent que la peur des sanctions liée à l'échec peut générer une adrénaline salvatrice. Certes, mais ce n'est plus l'esprit de jeu : il y aura des détournements de l'énergie : dès que l'espoir n'est plus sincère, chacun va commencer à préparer sa défense ou sa protection.

Pour la persistance, rappelons-nous que même un âne comprend vite que si la carotte qui est au bout du bâton s'éloigne quand il avance, l'objectif ne pourra être atteint même s'il court. Il s'arrête au bout de quelques pas. Les changements de cible inconsidérés sont destructeurs sur l'esprit de jeu. Si un objectif doit être changé, il vous faudra dépenser l’énergie nécessaire pour faire partager le bien fondé du changement, et s’assurer de l’adhésion réelle à la nouvelle donne.

3 - Un objectif créateur de jeu doit être « bordé » :


"Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée" (Alfred de Musset)

  • Le terme « bordé » est utilisé ici au sens « avoir un bord défini ». Une cible est faite pour être atteinte. La motivation du joueur est d'ailleurs fortement renforcée lorsqu'elle est atteinte. C'est ce qu'on appelle la "gagne". Les gagnants ont un moral plus élevé, qui les rend de plus en plus redoutables; Une spirale heureuse. Au contraire la motivation s'use et disparaît si les cibles ne sont pas atteintes. Il n'y a qu'à regarder la tête ou écouter les commentaires des vendeurs dans les entreprises lorsqu'une majorité d'entre eux est en dessous de la barre. C'est une situation vite analysée, mais qu'il faut projeter à ceux qui n'ont pas d'objectif "bordé" : ils ne les atteignent jamais. Donc, pas de jeu pour eux.

Une cible doit donc pouvoir être définie comme atteinte ou non atteinte, en toute objectivité, sans ambiguïté ou nécessité de jugement, sans être liée à l'opinion de son patron. C'est à dire que chaque collaborateur peut se situer en permanence en regard de sa cible, évaluer l'écart qui le sépare de la réussite. Il sera donc à même de mettre un "coup de collier" en cas de dérive, tant qu'il estime pouvoir l'atteindre. Il doit pouvoir évaluer cette dérive dès l'origine. Sinon, elle sera trop importante, et il sera trop tard.

La meilleure manière de border un objectif est de l'établir sous forme d'un résultat constatable. Un objectif donné en terme d’actions laisse peu de place à l’initiative. Si vous avez un objectif en terme de résultat, la manière de l’obtenir (ce qu’il faut faire) est ce qui va précisément ouvrir la liberté de jouer.

Proposez une visualisation du résultat à obtenir, qui permette à n'importe quel observateur de dire sans que la moindre discussion soit possible : c’est atteint, ou non. Le développement de la Qualité a beaucoup fait dans ce sens, ce qui a fait dire "la Qualité, c'est la mesure".

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4 - Un objectif créateur de jeu doit être limité dans le temps :


Avez-vous souvenir de certains jeux d’enfants qui se prolongent indéfiniment, tels le Monopoly, pour peu qu'on redistribue de l'argent, ou qu'on se le prête. Au bout d’un moment, le jeu tombe. On le quitte sans envie de rejouer. Le Monopoly est pourtant un jeu de compétition internationale, mais il se joue sur une durée limitée : Il faut une échéance pour entretenir l’effet de jeu.

« Il faudra qu’un jour je me mette au piano » ne démontre pas la même détermination que : « je me mettrai au piano avant la fin de l’année ».

Le jeu tombe s’il n’est pas réactivé par le temps. L’approche de la limite donne des ailes.

Pour ce qui est du pilotage, qui fait l'objet d'un chapitre suivant, inutile de dire que le temps sera fatalement introduit pour mesurer la performance.

5 - Un objectif créateur de jeu doit provoquer l’engagement :


« Dans les oeufs au bacon, la poule est impliquée, mais le cochon est engagé ! » (…)

Les points précédents suffisent pour créer le jeu. Mais pour donner de l’intensité à la motivation, le rattachement à des buts plus larges est un additif puissant à l’engagement personnel. Ces buts plus larges sont de deux niveaux : l’alignement sur les grands axes de l’entreprise et la prise en compte dans des objectifs plus personnels.

1 - Alignement sur les grands axes de l’entreprise :

« Que fais-tu ?», dit l’architecte au tailleur de pierres.
- Je bâtis une cathédrale ».


Comme le décrit remarquablement Arthur Koesler (Janus) , servir une cause est un besoin fondamental de l’individu. Plus une personne, lorsqu’elle travaille à servir ses objectifs, a conscience de concourir à quelque chose de plus grand, plus la motivation est forte.

Un violon, dans un orchestre philharmonique, fait plus que jouer sa partition. Il joue une symphonie. Faire de la musique d’ensemble ou participer à une œuvre collective permet d'en prendre vraiment conscience. L'engagement est d'autant plus fort que l'on contribue à un but collectif.

Il est précieux, pour un collaborateur, de connaître les effets de sa propre réussite sur les objectifs du groupe et les enjeux d'une éventuelle non-réussite.

2 - Alignement sur ses buts personnels :

« Les fleurs ne font pas d'effort pour pousser" (sagesse orientale)


Le sentiment de travailler par devoir, « à la sueur de son front », est une représentation malheureusement ancrée dans notre culture, qui s'oppose à l'idée de jeu. Les gens les plus heureux vivent de ce qu’ils aiment faire. Ils n’ont jamais le sentiment de travailler. C’est la passion et le plaisir qui les poussent.

Nous courrons incoerciblement après nos buts personnels. A l'inverse de ce que nous a le plus souvent enseigné, pour nous amener à l'effort ou la culpabilité, la tendance des philosophies "new age" développe l'idée que nous sommes faits pour réussir ce que l’on a envie spontanément de faire. Aujourd'hui d'ailleurs, les évaluations introduisent les "préférences " au côté des compétences pour orienter les managers dans l'entreprise et former les équipes.

L'engagement d'un collaborateur sur ses objectifs, son intention de gagner, dépendront de ce que lui apporte le fait de les atteindre en regard de ses attentes personnelles : promotion, félicitations, gratifications, acquisitions, voyages, changement de vie …

Au moment de la présentation et de l'adhésion à ses objectifs, il fera sans doute spontanément le lien. Mais vous pouvez vous en assurer en communiquant sur ce sujet avec lui. L'association sera mieux établie, et se fera plus facilement par la suite. Vous connaîtrez par avance son degré d'engagement, et vous pourrez peut-être l'améliorer en ajustant les gratifications sur ses attentes, si cela vous est possible. Les entretiens annuels, en vigueur dans la majorité des entreprises de taille certaine, l'introduisent d'ailleurs progressivement dans leur grille.

Sachez après quoi vos collaborateurs courent. Si l'objectif que vous leur proposez d'atteindre leur permet d'aller dans cette direction, ils mettront naturellement le paquet pour l'atteindre.

En synthèse : proposer une mission motivante


Pour vérifier que les éléments de motivation sont réunis dans la mission que vous proposez à un collaborateur, posez-vous les questions suivantes :

  • Est-ce que la mission s’exprime en termes de résultats à obtenir et non de tâches à remplir ?
  • Est-ce que le fait que ce résultat soit atteint ou non peut s’apprécier de manière objective ?
  • Avez-vous vérifié que votre collaborateur a une vision claire de ces résultats ?
  • Avez-vous obtenu un accord formel sur le fait de prendre en charge cette mission ?
  • Une date d’évaluation des résultats est-elle prévue ?
  • Votre collaborateur sait-il en quoi sa mission contribue à la réussite de l'entreprise?
  • Savez-vous si la réussite de cette mission s’aligne avec ses objectifs personnels ?