La vision d'entreprise


Si le mot « vision » évoque les grands mystiques ou la manifestation de délires hallucinatoires, il est désormais à ranger dans le vocabulaire de la stratégie d’entreprise. L’effet d’entraînement qu’une vision claire et déterminée peut avoir dans l’entreprise, pour la motivation des équipes, comme hors de l’entreprise, pour son image et son positionnement, est maintenant établi. Comme le rappelle l’adage : "Si vous ne savez pas où vous voulez aller, vous risquez de ne pas y arriver, ou pire encore de vous retrouver ailleurs"

« A l'avenir, la "société des valeurs", ne recherchera plus uniquement le profit, mais remplira consciencieusement ses responsabilités d'entreprise, obtiendra la confiance de toute la société, sans oublier ses clients et sera considérée comme une entreprise indispensable. Par conséquent, l'une de nos responsabilités consiste à faire passer un message clair à la société concernant la voie sur laquelle nous allons nous engager … tout le personnel du groupe a déjà commencé à travailler en direction de ce nouvel idéal et de cette cible » expriment les dirigeants du groupe CLARION, reprenant ce mouvement, maintenant consacré par les usages, du management d’entreprise.

Tel que l'illustre en effet Arthur Koestler dans son dernier ouvrage "Janus", tout homme a un besoin incoercible d'aféodation à quelqu'un ou à une idée. Nous sommes, selon notre nature, prêts à marcher derrière une vision claire et un leader qui y croit. Une fois sa survie assurée, outre la dominance (selon Laborit), le besoin de contribuer à une cause est peut-être le plus fort niveau de motivation que l’on rencontre chez l’humain. La quantité d’énergie bénévole consacrée à des associations à but humanitaire ou de générosité le prouve.

"Lorsque l'un de mes managers prend la direction d'un établissement, j'attends de lui qu'il rédige sur une page ce qu'il veut en avoir fait avant de la quitter " dit Alain Bréau, Président du Groupe Mory, qui ne manque pas de le faire lui-même. Mettre les idées par écrit reste un moyen simple et sûr de clarté. Mais quelles idées ? "Encore faudrait-il que nous le sachions nous-mêmes" m'a répondu un jour le dirigeant d’une enseigne hôtelière internationale à qui je faisais part du souhait de ses collaborateurs de comprendre les grandes directions de l'entreprise. Cette réponse a la palme de la franchise, mais traduit une situation très souvent rencontrée : vers quel scénario de réussite voulons-nous faire courir nos équipes?

L’arrivée du marketing dans les années 60, propulsée des Etats Unis par Mac Arthur, Porter et autres Koetler, ont été précieux dans ce sens, puisque ce fut une incitation à construire l'entreprise autour d'une attente extérieure plutôt que de la centrer sur son propre fonctionnement. Donc de lui donner un sens. Attention toutefois à ne pas mélanger la « vision d’entreprise » (là où l’on va) avec la stratégie (comment on y va) ou les ressources (avec quels moyens et quel équilibre financier). La vision stable doit être proposée par le leader, le reste nécessite des ajustements fréquents doit être discuté.

Voici dans cet esprit quelques thèmes pour vous aider à établir votre « vision d’entreprise », c’est à dire le scénario de la réussite sur lequel vous la dirigez :

Mission


Effet dégradant de notre matérialisme ambiant, les motivations sont souvent réduites à l'argent. Le but de l'organisation est souvent confondu avec ses objectifs financiers. Avoir une part de marché ou une rémunération suffisante du capital investi est une condition nécessaire, mais n'est pas en soi une oeuvre suffisante pour faire s’investir ses collaborateurs ni peut-être même pour assurer une réussite durable : il s'agit de donner en amont un sens à l'œuvre, dont la réussite financière sera une conséquence, de déterminer à quel besoin fondamental répond l’entreprise. Autrement dit, de savoir ce que l'on veut réaliser ensemble, et qui sera rémunérateur parce qu'utile à une partie (suffisamment importante et solvable …) de la Société. C'est par là qu'il faut attraper le fil de vos réflexions.

Valeurs


Les valeurs sont des principes qui sous-tendent notre conception d’un univers idéal. On pourrait se demander ce que cela vient faire dans l’entreprise. Pourtant lorsque je suis entré, il y a plus d’une vingtaine d’années, dans une société japonaise de renom, la présentation des principes de l’entreprise n’était pas qu’un rituel. C’était un rappel solennel que faire partie de la « maison » impliquait de respecter ces lignes directrices dans toute décision. Dans le même esprit, j’ai lu récemment sur une affiche, dans le hall d’un établissement d’une grande société allemande, la phrase signée de son fondateur : « je préfère perdre de l’argent que la confiance de mes clients ». C’est ce qu’il est convenu d’appeler maintenant les « valeurs » d’entreprise : dans quels grands principes doivent s’inclurent vos décisions et celles de vos collaborateurs.

Marchés cibles, concurrents directs et différences compétitives


Il est rassurant pour vos collaborateurs de savoir qui (personnes physiques ou morales) l'entreprise veut intéresser par ses services ou ses « produits », s'ils sont en quantité suffisante et plutôt en développement. De savoir également qui d'autre s'adresse à ce Marché, et comment le font-ils. Identifier ses compétiteurs fait partie de la motivation.

Pour mieux répondre aux attentes et aux envies de cette « cible », comment en utilisant les forces de l'entreprise et en respectant ses valeurs, va-t-on réussir à être préféré ? Ainsi doivent être définies vos « différences compétitives », ce que vous apportez de différent ou de meilleur. Centrer les esprits sur leur maintien et leur amélioration donnera du sens à vos choix stratégiques et à vos directives.

Objectifs


La vision d’entreprise peut se formaliser par quelques résultats chiffrés, qui plantent clairement le drapeau : les obtenir ensemble sera l'illustration de la réussite. Taux de croissance, parts de Marché, rang par rapport à la concurrence, résultats financiers ou opérationnels, retours sur investissement … les indicateurs de la performance qui permettront de focaliser l'attention ou de célébrer la réussite ne manquent pas. Mais n’en choisissez-en pas plus de deux ou trois.

Partager et faire adhérer à la vision : une mission du leader


"Pour mener, il faut être suivi" (Lao Tseu)

Combien de fois ai-je entendu les membres d'une entreprise me demander d'inclure dans un séminaire un rappel sur la stratégie de l'entreprise et le Président me dire "elle est pourtant claire, elle a été écrite et diffusée. Tout le monde la connaît". Humilité de la communication : Faire partager demande beaucoup plus d’énergie que d’exposer. Plus encore, ce n'est pas une simple question de connaissance : le groupe a besoin de ressourcer régulièrement son énergie dans la détermination du leader. Une vision n’a de valeur collective que si elle est partagée en permanence par les membres de l’équipe qui doit contribuer à sa réalisation. Ce qui implique :

- de formaliser clairement cette vision,
- de ne pas sous-estimer l’appropriation
- de ne pas freiner l’adhésion,
- de la soutenir avec énergie et persistance.

1 – Formaliser clairement sa « vision d’entreprise »

Voici quelques recommandations pour rendre plus accessible et « impactante » votre vision d’entreprise :

1 – Garder simplicité et cohérence

La complexité des propos met parfois l’orateur en valeur, mais la complexité n’a pas d’impact sur la prise de décision et le passage à l’action. La vision doit être exprimée simplement pour être retenue. Le célèbre « je veux une France libre » est plus efficace pour mobiliser les énergies qu’une constitution, naturellement complexe, aussi bien faite soi-elle. L’Europe s’est chargée de nous le rappeler.

Quant aux nombres, il en faut peu. J’ai entendu dire que les membres d’un conseil d’administration ne retenaient pas plus de 3 nombres en sortant de séance.

Et comme notre cerveau mémorise par association, la cohérence et l’enchaînement logique des idées sont fondamentaux.

2 – Imager

Pour répondre à la question « combien y a-t-il de fenêtres chez vous », je suis prêt à parier que vous aller visualiser votre maison ou votre appartement puis compter. A moins que ne veniez de faire faire un devis sur le sujet. On retient en effet mieux les images que les concepts. Plus votre vision est illustrée ou créatrice d’images, plus elle imprimera les cerveaux. Prenez le mot image au sens large, incluant son et mouvement. "Une image vaut mille mots" dit le proverbe oriental.

3 – Etablir des indicateurs de résultat

Une vision d’entreprise doit décrire le résultat visé, et non les actions pour y parvenir. Le fait d’établir quelques éléments observables qui permettront de dire clairement que l’on a réussi est le plus sûr moyen de s’en assurer.

4 – Donner du sens

Le sens est ce qui montre que la vision est une contribution utile, que sa réussite a des effets. En termes simples : « à quoi ça sert ? ». Nous avons tous besoin de comprendre la finalité, les enjeux et les risques pour investir notre énergie.


2 – Ne pas sous estimer l’appropriation


L'appropriation est une phase complémentaire, qui consiste à faire intégrer la vision dans l'esprit de chacun, pour lui permettre d’y inscrire sa propre mission.

Pour une bonne appropriation, il faut que les collaborateurs s'expriment et mettent leur propre "patte" dans une transcription. Il faut qu'ils se créent leur propre illustration de la réussite. Il faut les faire s'exprimer sur le sujet de recadrer éventuellement ce qu'ils expriment. Une réunion d’échange sur le sujet est un minimum à assurer.


3 – Faciliter l’adhésion


Au mieux, l'adhésion est un accord sincère des collaborateurs. A défaut, elle consiste au moins à s'assurer qu'il ne reste pas de désaccord majeur au sein de son équipe. Au pire, à les connaître et à agir en conséquence. C'est un point clé pour un leader, puisque cet alignement de la détermination de l'individu sur celle du leader est le chemin d'un véritable engagement collectif.

Le manager peut, face à des désaccords, être tenté d'imposer son point de vue, en usant de sa position de pouvoir. C'est un leadership par soumission qui placera les collaborateurs en position de subir. Ils ne seront donc évidemment pas déterminés à donner le meilleur d’eux-mêmes, surtout quand la pression diminuera. Un bon leadership consiste donc à obtenir le meilleur niveau d'accord possible de la part des éléments de son équipe.

Heureusement, l’adhésion est un phénomène relativement naturel. La majorité d’entre nous recherche même à s’aféoder à une vision claire, et nous recherchons souvent un leader capable de nous la proposer. Mais il existe quelques mauvais réflexes auxquels il faut faire attention pour ne pas entretenir d’opposition à caractère « réactif » :

1 – le chef a toujours raison

Le besoin d'avoir raison est un de nos vieux démons. Comme si avoir tort était une menace, comme si nos positions étaient rassurées par les approbations. Définir une vision, c'est faire des choix, donc prendre des risques. Avoir raison n’a pas de sens : seul les faits à venir pourront démontrer si les choix étaient justes. Toute contradiction peut donc être entendue et respectée, sans que le choix soit mis en cause. Cela ne met nullement en cause la fermeté de vos choix. Bien au contraire, c'est une nécessité pour pouvoir obtenir une adhésion.

Savoir entendre les contradictions n’empêche nullement de confirmer ses choix. C’est même un préalable à l’adhésion.

2 – C'est le chef qui décide :

On pourrait se croire leader parce qu'on a le pouvoir de décider, que prendre en compte un avis autre serait un signe de faiblesse. Pourtant les collaborateurs ne sont pas des êtres inférieurs, et leur niveau de perception ou d'intelligence n'est pas obligatoirement moindre que celui de leur leader. Ils peuvent faire des suggestions de valeur dont il serait dommage de ne pas bénéficier. Mais surtout, comment imaginer que quelqu'un adhère à vos choix avec confiance si vous vous refuser à entendre et prendre en compte ce qu'il pense pertinent. Ecoutez et prenez en compte toutes les suggestions appropriées, dans la mesure où elles vont dans le sens global proposé. D’autant que si les grands objectifs sont des choix établis, la manière d'y arriver peut recevoir des amodiations sans risque sur le leadership. Bien au contraire.

Restez constant sur la vision mais ouvrez le débat sur les moyens (stratégie et ressources).

3 - Faire taire l’opposition pour régner

On ne peut pas soumettre l’adhésion. Dommage, ça ferait gagner du temps. Si l'on s'en réfère en effet à l'aspect émotionnel, nous sommes d'autant plus prêts à écouter et à comprendre quelqu'un qu'il nous écoute et qu'il nous comprend. Le désaccord doit s’exprimer et être entendu. Ce qui ne veut nullement dire approuvé. Comprendre quelqu’un n’est pas adopter son point de vue, ni lui donner raison. Il n’y a donc aucun inconvénient à écouter les raisons du désaccord d’un collaborateur. Bien au contraire, toute attitude qui consisterait à imposer son point de vue sans comprendre celui de l’autre mobiliserait immédiatement tout un processus d’autodéfense qui empêchera toute possibilité d’adhésion.

Sachez laisser s'exprimer les contradictions jusqu'au bout, les accepter comme des points de vue différents. Allez même les chercher si elles ne s'expriment pas spontanément. Elles ne vous empêchent en rien de maintenir votre position avec douceur mais fermeté.

Demandez formellement leur avis et écoutez sans réagir les contradicteurs en comprenant les raisons de leur désaccord, puis rappelez le sens de vos choix.

4 – Préférer le flou pour éviter l'opposition

Plus une proposition est claire et tranchée, plus elle risque de générer la contradiction ou le désaccord. La complexité d'une proposition, comme la pédale forte du piano, ménage un flou protecteur. Avantage de très court terme, car il n'y aura pas d'engagement non plus.

Un manager peut même être tenté de créer un consensus dans son équipe en lui faisant déterminer les buts et la stratégie. C'est un bon moyen, en effet, de ne pas avoir de désaccord sur une proposition. Mais si mettre en discussion les options d'une stratégie est une bonne manière de créer une cohésion de l'équipe, c'est une carence du leadership de laisser la liberté sur la vision. Il appartient au leader de la proposer clairement et avec enthousiasme.

Etre direct et sans détour, authentique et déterminé, agréable et respectueux avec les personnes mais sans complaisance dans les idées.

5 – Considérer que "qui ne dit mot consent"

"Tout le monde est bien d'accord ?" en fin d’exposé s'entend souvent comme une affirmation, peut-être même comme une désapprobation anticipée pour celui qui s'aviserait de prendre la parole.

On peut vouloir gagner du temps, mais pas au profit d’illusions. Un accord se vérifie individuellement, et sans précipiter le mouvement. Seul un "oui" net, confirmé par le regard et la mine adéquats peut signifier un accord réel. Impossible bien sûr avec une assemblée importante (pour cela on recourt au vote formel) mais justifie un tour de table pour un groupe restreint.

Le silence n’est pas l’adhésion. Faites clairement exprimer les points de vue.

4 – Energie et persistance


Et n’oubliez pas que persistance et la répétition sont les moyens d’assurer la permanence des idées. Ne ratez pas une occasion de rappeler les points forts de la vision d’entreprise devant vos collaborateurs. Présentation de l’entreprise à un client, commentaire d’une décision ou pot de fin d’année …et mettez-y de l’enthousiasme. La certitude est contagieuse.

Test :

Vérifiez que vous avez une vision d’entreprise partagée

- Pouvez-vous répondre clairement à ces 6 questions ?
- Avez-vous vérifié que vos collaborateurs directs répondent la même chose que vous ?

1. Quelles sont vos valeurs d’entreprise ?

2. Quelle est votre cible privilégiée de clients ?

3. Pourquoi ont-ils choisi ou choisiraient-ils votre entreprise plutôt qu’une entreprise concurrente ?

4. Que souhaitez-vous que l’on dise de votre entreprise ?

5. Quel est le (ou les) indicateurs clés de la réussite de votre entreprise ?

6. A quel niveau le (ou les) souhaitez-vous à 3 ans ?